C’est une nouvelle qui fait l’effet d’un séisme dans la filière chanvre bien-être : le gouvernement français envisage d’aligner la fiscalité du CBD fumable sur celle du tabac. Concrètement, le projet de loi de finances (PLF) 2026 prévoit d’introduire une accise de 25,7% sur les produits contenant du cannabidiol destinés à la combustion – fleurs, pré-rolls ou extraits à fumer – en plus d’une assiette fixe de 18 € par kilo. Pour les acteurs du secteur, c’est un choc brutal qui remet en cause des années d’investissement et d’organisation.
Une harmonisation fiscale… ou une mise sous tutelle ?
Officiellement, le ministère de l’Économie évoque une "harmonisation fiscale" visant à garantir la neutralité entre les produits à fumer, avec ou sans nicotine. Le texte modifie le Code des impositions sur les biens et services (CIBS) pour y inclure les produits « susceptibles d’être fumés, même sans tabac ni nicotine ».
Mais derrière cette façade, c’est une redéfinition du statut du CBD fumable qui se profile. En les assimilant à des produits du tabac, ces produits seraient désormais soumis à une cascade d’obligations administratives et douanières : entreposage sous douane, bandes fiscales, autorisations de distribution, vente réservée aux établissements agréés… Un changement de paradigme complet.
Buralistes seuls autorisés à vendre les fleurs ?
L’autre bombe contenue dans le texte est l’article qui réserverait la vente de CBD fumable aux bureaux de tabac et à certains établissements agréés par l’administration. Les boutiques spécialisées, qui ont pourtant porté l’essor du marché ces dernières années, seraient donc exclues.
Autrement dit, un entrepreneur indépendant ne pourrait plus vendre de fleurs CBD dans sa boutique physique, ni en ligne. La vente à distance de produits soumis à accise étant interdite, les e-commerçants français se verraient purement et simplement évincés du segment du CBD à fumer.
Un secteur sous le choc : "c’est la mort de la filière"
Sur le terrain, l’inquiétude est immense. Producteurs et distributeurs dénoncent un coup de massue fiscal qui pourrait anéantir tout un écosystème. Arthur Gallien-Gy, producteur dans la Côte-d’Or, résume crûment la situation : « Si c’est adopté, je change de métier. C’est fini. » Il n’est pas seul à tirer la sonnette d’alarme : selon l’Association française des producteurs de cannabinoïdes (AFPC), la filière représente plus de 35 000 emplois et un chiffre d’affaires estimé à 850 millions d’euros.
Or, cette réforme risque de concentrer l’offre entre les mains de quelques très gros acteurs, au détriment des circuits courts et de la production locale. Les petits producteurs, qui vendaient directement sur les marchés ou via leur site web, seraient les premiers impactés.
Des distributeurs sacrifiés
Du côté des CBD shops, le constat est tout aussi alarmant. À Dijon, Djamel Bousdassi, gérant d’une boutique, confie son désarroi : « Je fais partie du quartier, j’ai ma clientèle… et là, on m’annonce que je vais peut-être disparaître ? » Même sentiment à Orléans, où Jimmy Bouada ne sait toujours pas s’il pourra continuer à vendre ses produits l’année prochaine.
Tous soulignent un point crucial : les buralistes ne sont pas formés à la vente de produits CBD, ni à la traçabilité ou au conseil personnalisé. « Les clients risquent de se retrouver avec des produits mal identifiés, mal utilisés, et une qualité incertaine », explique Julien Guigues, co-gérant d’un autre shop.
Une décision juridiquement contestable ?
Au-delà de l’impact économique, plusieurs juristes pointent une possible violation du droit européen. Le CBD, reconnu comme non stupéfiant par la Cour de justice de l’Union européenne, ne peut pas être assimilé sans nuance à un produit du tabac. L’absence de nicotine et d’effet addictif pose un sérieux problème de cohérence pour une taxe alignée sur le tabac, responsable de plus de 75 000 décès chaque année en France.
Hugo Bessenay Prolonge, représentant de l’AFPC, ne mâche pas ses mots : « On parle de tuer une filière agricole et de mettre ce marché entre les mains du Big Tobacco. » Si les syndicats ne s’opposent pas à une régulation raisonnable, ils refusent une fiscalité punitive et un encadrement excluant les producteurs français du circuit de vente.
Une mobilisation d’ici décembre
Le projet de loi est actuellement en discussion à l’Assemblée nationale. Les syndicats du secteur ont jusqu’au 23 décembre 2025 pour convaincre les députés de revoir le texte. Ils appellent à la mobilisation de tous les acteurs de la filière, à l’interpellation des élus, et à une défense ferme d’un modèle agricole et commercial encore jeune mais prometteur.
L’avenir du CBD fumable en France se joue maintenant. Ce qui est en jeu dépasse la simple question fiscale : c’est le choix entre une filière locale, encadrée, professionnelle… et une mainmise industrielle, opaque, voire dissuasive pour les consommateurs.


















