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Quand le CBD coûte un poste de PDG : le Japon face à ses contradictions

Un simple complément alimentaire à base de CBD a suffi à précipiter la chute de Takeshi Niinami, figure du patronat japonais. Retour sur une affaire révélatrice des tensions entre modernité et tradition au Japon.

Auteur de l'article
Publié le
14/10/2025
Par
Sandrine - Rédactrice
Takeshi Niinami

Takeshi Niinami, ex-directeur général de Suntory et figure emblématique du patronat japonais, a été contraint à la démission après avoir été visé par une enquête pour possession présumée de produits contenant du CBD, une substance pourtant en vente libre dans une grande partie du monde.

Une enquête administrative lourde de conséquences

L’affaire débute discrètement, par la réception supposée d’un colis expédié des États-Unis au domicile tokyoïte de Niinami. Ce colis, qui contiendrait selon la police des compléments alimentaires à base de CBD et potentiellement de THC, la molécule psychotrope du cannabis aurait déclenché une enquête pour infraction à la législation japonaise sur les stupéfiants. Très vite, les choses prennent une ampleur nationale.

Alors même qu’aucune substance illégale n’a été retrouvée lors de la perquisition menée au mois d’août, le dirigeant n’a pas résisté à la pression. Le 5 septembre 2025, il annonce sa démission, prenant les devants avant la conclusion des investigations. Le conseil d’administration de Suntory évoque un « manquement à la prudence » et un comportement « incompatible avec la fonction de dirigeant ».

Le paradoxe japonais : la tolérance zéro appliquée au CBD

Dans de nombreux pays occidentaux, cette affaire aurait pu passer inaperçue. Le CBD (cannabidiol) est utilisé quotidiennement pour soulager le stress, les troubles du sommeil ou l’anxiété, y compris par des cadres, des athlètes ou des retraités. En Europe, aux États-Unis ou au Canada, ces produits sont considérés comme des compléments alimentaires légaux, à condition que leur taux de THC reste en dessous des seuils autorisés.

Mais au Japon, la législation ne fait aucune distinction claire entre les différentes molécules du cannabis. Le CBD est toléré, mais les contrôles sont stricts, et la moindre trace de THC peut entraîner sanctions pénales et conséquences sociales graves.

Dans ce contexte, même un colis intercepté, même sans consommation avérée sur le territoire japonais, peut suffire à déclencher une tempête médiatique et administrative. Le message est clair : au Japon, l’apparence de la conformité vaut autant que la conformité elle-même.

Une figure emblématique balayée par le soupçon

Takeshi Niinami n’est pas un inconnu. Passé par Harvard, il a dirigé la chaîne de supérettes Lawson avant de prendre la tête de Suntory Holdings en 2014. Sous son impulsion, le groupe familial est devenu une référence mondiale dans le secteur des boissons, propriétaire de marques emblématiques comme Orangina, Schweppes ou encore Jim Beam.

Sa franchise en faisait aussi une voix écoutée du monde économique. À la tête du Keizai Doyukai, l’un des principaux syndicats patronaux du pays, Niinami s’est régulièrement exprimé sur des sujets sensibles, de la gouvernance d’entreprise à la politique industrielle. Il avait récemment critiqué ouvertement les dérives de l’industrie du divertissement japonaise, notamment après les révélations sur les abus dans une célèbre agence de boys bands.

Et c’est précisément cette image d’homme intègre et moderne, soucieux de la santé publique et de l’éthique, qui a rendu l’affaire si explosive. Car ici, il n’est pas question d’un excès, d’un dérapage ou d’un enrichissement personnel, mais d’un complément alimentaire commandé à l’étranger, destiné à atténuer les effets du jetlag.

Une culture de l’exemplarité… ou de la peur ?

Au Japon, la sanction sociale dépasse souvent la sanction juridique. Le concept de « responsabilité morale » pèse lourdement sur les épaules des dirigeants, tenus à un niveau d’exemplarité extrême. Une simple suspicion, même sans infraction formelle, peut suffire à justifier une démission.

Niinami l’a reconnu lui-même lors de sa conférence de presse : « C’est ma négligence qui a conduit à cette situation. Je m’excuse pour le trouble causé. » Une déclaration typique de la culture japonaise, où les excuses publiques tiennent lieu d’expiation, même en l’absence de faute établie.

Mais cette posture interroge. Comment justifier qu’un complément légal aux États-Unis ou en France, utilisé sans intention de nuire, devienne un motif suffisant pour écarter un dirigeant de premier plan ? La question du poids de la stigmatisation, et de la modernisation nécessaire du cadre législatif nippon, est posée.

Une exception qui soulève des enjeux globaux

L’affaire Niinami jette une lumière crue sur les disparités internationales autour du CBD. Alors que certains pays facilitent son usage thérapeutique, d’autres – à l’instar du Japon – maintiennent une position rigide héritée des politiques prohibitionnistes du XXe siècle.

Et le paradoxe est d’autant plus frappant que Suntory reste un géant de l’alcool, un produit bien plus mortel et coûteux en matière de santé publique. Que l’on sanctionne plus sévèrement le CBD qu’un abus d’alcool interroge profondément la cohérence des politiques sanitaires.

En conclusion

Le départ forcé de Takeshi Niinami n’est pas seulement l’histoire d’un dirigeant sous pression. C’est le reflet d’une tension croissante entre ouverture économique et conservatisme juridique, d’un fossé culturel entre l’évolution des usages dans le monde et la rigidité des institutions japonaises.

Alors que le CBD continue de se démocratiser ailleurs, le Japon semble vouloir rester à l’écart. Mais à quel prix ? Celui de sacrifier ses meilleurs dirigeants pour l’exemple ? Ou celui de s’enfermer dans une vision dépassée du risque et de la santé publique ?

Profil de l'auteur de l'article
Sandrine - Rédactrice

Sandrine est rédactrice pour le média Planposey et a toujours été convaincue que le CBD a de nombreuses vertus et utilisations. Aujourd'hui, c'est l'ensemble de la plante qu'elle a envie de vous faire découvrir à travers ses articles.

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