L’affaire de Jean-Jacques Modeste, agent de maintenance à la RATP, soulève une nouvelle fois les contradictions qui entourent l’usage du CBD en France. Malgré une prescription médicale et un usage encadré pour raisons de santé, cet homme de 47 ans vient de perdre son emploi après un test positif au cannabis. Une décision qui interroge autant sur le plan juridique que sur le plan humain.
Une carrière brisée malgré une ordonnance
Le 23 juin dernier, lors d’un contrôle de routine au dépôt de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), Jean-Jacques Modeste est soumis à un dépistage de drogues, bien qu’il ne soit pas conducteur, mais agent technique chargé de la sécurité des bus. Le test salivaire détecte des traces de THC.
La réponse de Jean-Jacques est immédiate : il suit depuis plusieurs mois un traitement à base de CBD prescrit par son médecin généraliste et son psychiatre. Diagnostiqué bipolaire, il a cessé les benzodiazépines, trop lourds en effets secondaires, au profit du cannabidiol, plus doux et mieux toléré. Aucun impact sur ses fonctions cognitives n’avait été relevé jusqu’ici.
Pourtant, malgré cette ordonnance, il est suspendu, puis convoqué devant le conseil de discipline. Le 22 septembre, après 27 ans de service, il est licencié.
Le CBD entre cadre légal et sanctions professionnelles
Ce cas n’est pas isolé. Il met en lumière une faille bien connue : les tests de dépistage, notamment salivaires, ne permettent pas de distinguer l’usage de CBD légal — contenant moins de 0,3 % de THC — de la consommation de cannabis récréatif.
Or, en droit du travail français, un test positif suffit à déclencher une procédure disciplinaire, même si l’origine du THC est un produit légal, voire prescrit. La Cour de cassation l’a rappelé en 2023 : la légalité d’un produit ne protège pas le salarié de sanctions si ce dernier échoue à un test de dépistage.
Des enjeux humains, médicaux et syndicaux
Au-delà de la réglementation, cette affaire soulève une dimension sociale et médicale. Jean-Jacques, reconnu comme travailleur handicapé, bénéficiait d’un régime de congés médicaux adaptés. Au moment de sa suspension, il était en pleine négociation pour intégrer une filiale privée dans le cadre de la réorganisation du réseau francilien.
Pour Ahmed Berrahal, représentant CGT au sein du CSSCT, cette décision s’inscrit dans une stratégie de précarisation : « On utilise les tests pour se débarrasser de salariés expérimentés et protégés. »
La rigidité des procédures semble l’emporter sur toute considération humaine. Trois représentants du personnel avaient pourtant défendu Jean-Jacques devant la commission disciplinaire. En vain.
Un flou juridique de plus en plus pesant
L’usage du CBD, bien que légal et reconnu pour ses vertus thérapeutiques, reste enfermé dans une zone grise. Les produits respectant les normes européennes peuvent entraîner des tests positifs, exposant les consommateurs à des sanctions lourdes, parfois irréversibles.
Dans un contexte où le cannabidiol est largement plébiscité pour soulager l’anxiété, les douleurs chroniques ou encore accompagner des troubles psychiatriques, l’absence de distinction dans les procédures de dépistage pose problème.
Ce cas soulève la nécessité urgente de réévaluer les pratiques de contrôle en entreprise, notamment lorsqu’un traitement est médicalement encadré.
Quelle suite pour Jean-Jacques ?
Pour Jean-Jacques Modeste, la page professionnelle se referme brutalement. « Vingt-sept ans effacés en à peine une heure », confie-t-il. Son ordonnance, pourtant en bonne et due forme, n’a pas pesé dans la balance. « J’espère qu’il reste encore un peu d’humanité », disait-il avant l’audience. Le verdict laisse peu d’espoir.
Ce licenciement relance le débat sur les conditions d’usage du CBD dans le monde professionnel. Entre loi, santé et dignité humaine, l’équilibre semble encore à trouver.